Translate

jeudi 20 décembre 2018

Versification : quelques notions


Des notions pour analyser les poèmes

A retrouver dans la partie technique
de Mon cœur qui bat



 
 Les types de vers

·        Vers pairs :

Dissyllabe (2 syllabes), quadrisyllabe (4), hexasyllabe (6), octosyllabe (8), décasyllabe (10) dodécasyllabe (12) ou alexandrin (en référence au Roman d'Alexandre, XIIe siècle, premier texte en vers de 12 syllabes).

·        Vers impairs :

Monosyllabe (1 syllabe), trisyllabe (3), pentasyllabe (5), heptasyllabe (7), ennéasyllabe (9), hendécasyllabe (11 syllabes).


 Les types de strophes 

Distique : 2 vers
Tercet : 3 vers
Quatrain : 4 vers
Quintil : 5 vers
Sizain : 6 vers
Septain : 7 vers
Huitain : 8 vers
Neuvain : 9 vers
Dizain : 10 vers
Douzain : 12 vers

mercredi 24 octobre 2018

Je vis, je meurs, je me brûle et me noie de Louise Labé, commentaire


Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

 
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

 
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

 
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.



Louise Labé (1524-1566)
                 1)  grief : grave, très pénible
2)  heur : bonheur


La Renaissance lyonnaise et sa Belle Cordière
Louise Labé passa la plus grande partie de sa vie dans la région lyonnaise qui est, au XVIe siècle, dynamique et florissante : en effet, celle-ci se trouve sur le chemin de l’Italie et au confluent de deux voies navigables très importantes : la Saône et le Rhône.
La ville de Lyon est alors d’une part un grand centre économique (les grandes banques et marchands italiens s’y établissent et les foires se développent, des corporations d’artisans se forment) et d’autre part un important foyer culturel (très proche de l’Italie, elle bénéficie du rayonnement et de l’influence artistique de ce pays, possède des imprimeurs dynamiques de plus en plus nombreux : imprimerie inventée en 1450). Sur le modèle de la Renaissance italienne, la France, et particulièrement la ville de Lyon, connaissent un renouveau poétique et un épanouissement de tous les arts. C’est une sorte de deuxième capitale, dite italianisante, à l’image de Paris ou de Florence, où de nombreuses personnalités séjournent (la cour royale s’y établit souvent et François Ier s’y arrête, en route pour l’Italie). Rabelais s’y installe comme médecin à l’Hôtel-Dieu, y travaille à son œuvre tant critiquée à Paris, et y publie son Pantagruel en 1532).
Louise Labé, surnommée « La Belle Cordière » en raison de la profession de son père mais aussi de celle de son mari, qui était un riche marchand de cordes, accède à une éducation remarquable pour une jeune fille de son siècle. Louise Labé bénéficiera à la fois d’une éducation  « ménagère »  par sa belle mère, troisième et dernière épouse de son père, mais aussi d’une éducation lettrée à laquelle son père met un point d’honneur (elle apprend notamment le latin, l’espagnol, le grec et le chant…). Elle fait rapidement partie du cercle poétique appelé tacitement « Ecole lyonnaise » sous l’égide de Maurice Scève et d’autres poètes comme Pernette du Guillet. C’est un mouvement poétique qui précède La Pléiade (mouvement poétique centré sur Paris, et qui compte notamment Ronsard et du Bellay). Louise fut une militante active de la condition féminine, elle pratiquait l’équitation  (Belle Cour, avant qu’elle ne soit la place que l’on connaît aujourd’hui, fut un grand pré dont Louise Labé possédait quelques parcelles et où elle s’exerçait à l’équitation) et les jeux d’armes alors plutôt réservés aux hommes, l’escrime par exemple. Comme Christine de Pisan et de manière contemporaine à Marguerite de Navarre (sœur du roi François Ier, qui écrivit l’Heptaméron sur le modèle de Boccace), elle revendiquera le droit au statut d’écrivain et le droit à l’édition, ainsi que la légitimité de la vie amoureuse des femmes. Son œuvre entière est traversée par l’amour, elle qui fut mariée très tôt et eut plusieurs amourettes (Clément Marot, Olivier de Magny, etc.). Le recueil des œuvres de Louise Labé est publié en 1555 et comprend Le Débat de Folie et d’Amour (poésie en prose, empreinte de philosophie néoplatonicienne) et Les Sonnets et Elégies.
Commentaire du sonnet VIII
Lors de la Renaissance française au 16e siècle, l’amour devient le thème privilégié de la littérature et s’exprime surtout dans le renouveau poétique. Louise Labé construit sa renommée littéraire autour du cercle poétique lyonnais, sous l’influence du pétrarquisme et du néoplatonisme qu’elle assimile et personnalise. Elle fait publier en 1555 son recueil d’œuvres qui comprend notamment Le débat d’Amour et de Folie, ouvrage en prose qui expose un dialogue argumenté et Les Sonnets et Elégies, où la poétesse laisse cours à l’expression de ses sentiments, d’où est extrait  « Je vis, je meurs … », huitième sonnet d’une série de 24 poèmes. On verra comment Louise Labé rend compte dans son sonnet de la dualité du sentiment amoureux et de son caractère instable. C’est d’abord par un désordre durable et mystérieux des sens que se manifeste la passion amoureuse, vécue enfin comme « la folie d’amour » à valeur universelle.

I/ Manifestations physiques d’un état de désordre 
A. Construction énigmatique du sens : des sensations aux sentiments

   Accumulation de sensations : le froid / le chaud, le dur / le mou, le sec / le mouillé,  que l’on décèle dans : « J’ai chaud extrême en endurant froidure. La vie m’est et trop molle et trop dure ; Je me noie, je sèche ». Le sens du toucher qui est exclusivement exprimé correspond à une conception charnelle de l’amour qui s’éloigne du stéréotype platonicien de l’amour chaste et de nature intellectuelle. Il s’agit là, au contraire, d’une expression très sensuelle (voire érotique) et physique  de la passion jusque dans ses désordres et ses malaises.

On ne connaît d’ailleurs la cause de ces diverses sensations qu’au vers 9, début des tercets, qui forment ainsi une unité de sens différente des quatrains : c’est « l’Amour » précédé de « Ainsi », connecteur logique qui l’introduit. L’amour est bien la source de ces manifestations physiques intenses. Évocation de son aspect funeste : « je meurs » associé à « brûle » et « noie », verbes mortifères qui lui donnent une dimension inquiétante, dangereuse et fatale.

 Omniprésence du « je » et des adjectifs possessifs de première personne du singulier (« me », « mon », « ma »), réaffirmés à chaque vers mais sans aucune marque du féminin ! On note aussi l’absence de référent car l’être aimé n’est pas nommé et il n’y a aucune adresse directe à son égard ce qui contribue à un certain mystère mais aussi à l’universalité. L’expression de la douleur, abondante dans le lexique : « ennuis », « larmoie », « douleur », « peine », « malheur », se centre donc sur elle-même, comme si elle était produite par un sentiment désincarné ! Est-ce discrétion sur l’identité de l’amant ou tradition allégorisante ou analyse des états provoqués par la passion ? Sans doute les trois aspects …
  Les deux tercets expriment l’illusion causée par l’amour : en témoignent tous les verbes et adjectifs de modalisation : « penser, croire, certaine, désiré ». Un seul thème parcourt le poème qui insiste sur  les désordres et les contradictions de la passion d’amour, au sens étymologique de souffrance. Le registre lyrique est donc bien présent même si le corps participe des sentiments !


B. L’inscription de la douleur d’amour dans le temps 

  Les temps : le présent d’énonciation (« je vis, j’ai chaud, je pense, je crois ») marque un état physique et moral, actuel et durable, mais aussi répétitif, tandis que le gérondif (« en endurant ») marque la simultanéité d’états contradictoires comme si la passion figeait le temps, ce qui lui donne un caractère intemporel et universel.

  Particularité du mot à la rime « dure » qui est, soit le présent du verbe « durer », soit l’adjectif qualificatif « vie […] dure » qui associe ainsi le temps et la souffrance. On retrouve le même morphème à l’intérieur des mots « endure » et « froidure » : jeu lexical d’écho fondé, entre autre, sur la dérivation et l’homonymie.

  Des connecteurs temporels (« Et », « Puis ») marquent une simultanéité ou un processus de transformation. La métaphore végétale du vers 8 : « je sèche et je verdoie » semble bien traduire ce cycle du renouveau de la passion et de sa dégénérescence naturelle. Le dernier vers clôt le sonnet sur lui-même sur une idée de répétition : la poétesse est condamnée à revivre le processus qu’elle vient d’exposer. « Il me remet en mon premier malheur » : le préfixe suggère une répétition, une structure en boucle obsessionnelle qui semble enfermer le sujet dans un cercle fatal et qui préfigure la passion racinienne.




II) La « folie » d’amour : confusion et perte du contrôle de soi

A. La fusion des contraires :

  Les antithèses (« Je vis, je meurs … ») expriment l’inconstance dans les différentes sensations et émotions éprouvées. Les parallélismes de construction (« tout en un coup » vers 5 et 8 dans le 2nd quatrain) et la parataxe (suite d’indépendantes sans liens logiques marqués) dans les deux quatrains  font ressortir, par l’antinomie, la dualité de l’état de la passion d’amour et son incohérence.

  L’amour a donc un aspect polymorphe : alternance et ambivalence entre les sentiments : « entremêlés de joie/ je ris /en plaisir/ Mon bien/ ma joie /désiré heur » # « je larmoie/maint grief/douleur/peine/malheur ». La pointe du sonnet : « Il me remet en mon premier malheur » avec « malheur » à la rime ultime l’emporte sur  « Je vis » incipit du poème. De plus, ce dernier vers est la principale de la phrase et l’apodose (partie descendante de la phrase = effet de chute et de défaite) après la protase (partie montante = rythme croissant de l’illusion) des deux vers précédents :
« Puis, quand je crois ma joie être certaine,    
 Et être au haut de mon désiré heur
 »

 Seulement 4 rimes, réparties équitablement en féminines et masculines (au lieu de 5 rimes selon Marot) sont employées indistinctement dans ce sonnet pour évoquer tantôt l’agréable, tantôt le douloureux : « douleurheur, peine ≠ [joie] certaine »). Le choix de mots monosyllabiques dans les vers ou quasi monosyllabiques (vers 1, 3, 5, 7, 13) produit un effet d’insistance et de martèlement et donnent à entendre la souffrance éprouvée : « Je/ vis,/ je/ meurs,/ je/ me/ brû/le et/ me/ noie » (soit 10 fois 1 syllabe), c’est l’épitrochasme à effet rythmique.

  L’excès est marqué par des termes hyperboliques : « grands », « extrême, « maint », « trop » …» associés à des allitérations en [m] marquant la douceur ou en [d] mimant au contraire la dureté ou des  assonances nasales ou fermées : [ã = an], [y = u) qui traduisent le repliement sur soi, l’intériorisation du mal d’amour .

B. L’impossible maîtrise de soi :

 Le sujet parlant est complément d’objet d’ « Amour », dans : « Ainsi Amour inconstamment me mène » et « Il me remet en mon premier malheur » ou dépend de « vie » dans : « La vie m’est et trop molle et trop dure », ce qui montre la passivité du moi sujet ou plutôt son impuissance à contrôler ses émotions et sentiments.

  Le verbe « endurer » utilisé au présent et au gérondif (figure du polyptote = variante flexionnelle du même mot) renforce cet état de dépendance du sujet.

  L’Amour, allégorisé par la majuscule, est donc bien le maître absolu et implacable qui soumet ou qui fait espérer  « inconstamment » le cœur humain.

 Le rythme irrégulier du poème renforce cette instabilité des émotions et sentiments, tantôt binaire pour marquer l’ambivalence « J’ai grands ennuis/ entremêlés de joie », tantôt quaternaire et heurté « Je vis,/ je meurs ;/ je me brûle/ et me noie » tantôt croissant, tantôt l’inverse.

Bien que Louise Labé s’inspire des modèles de la Renaissance italienne, son utilisation du sonnet lui confère une véritable originalité. Elle ne s’est pas contentée de « pétrarquiser » ni même de « marotiser » comme certains de ses contemporains mais, au contraire, elle a  personnalisé la forme pour l’adapter à son discours. En réorganisant de manière singulière la disposition thématique du sonnet mais également en nous livrant les différents états contradictoires de l’amour, Louise Labé a pris le parti d’une poésie sincère et universelle qui s’exprime dans toute sa dimension charnelle. Plus que la relation amoureuse, il s’agit ici de décrire les manifestations organiques violentes de la passion qui font perdre le contrôle de soi et la raison. C’est le thème de la folie d’amour médiéval qui est repris dans ce sonnet, sujet aussi de son Débat d’Amour et de Folie, mais au féminin (voir la folie de Tristan ou d’Yvain dans les romans médiévaux). Louise Labé annonce aussi la tendance baroque de l’instabilité, du fluctuant mais aussi les états passionnels des héros raciniens et leur analyse dans La Princesse de Clèves.

Cours de Suzy Vinson (mars 2012)
Tous droits réservés
************************************************************************

Retrouvez ce poème d’amour parmi les 60 poèmes d’amour, écrits à coeur battant,  par les poètes de l’Antiquité à nos jours, dans "Mon coeur qui bat", édition Flammarion, collection Etonnants Classiques, auteure Céline Roumégoux.

lundi 1 octobre 2018

Non, je n'ai rien oublié par Aznavour

 Nous n'oublierons pas, non plus !

Adieu, monsieur Charles.






Paroles : Charles Azvavour (1924-2018)
Compositeur : Georges Garvarentz (1932-1993)


jeudi 6 septembre 2018

Chanson de toile : La belle Erembour

On appelle chansons de toile de courtes compositions poétiques datant du Moyen Age que les femmes chantaient en tissant la toile. Ces chansons, souvent anonymes, content ordinairement une aventure d'amour. Le refrain était sans doute repris en chœur par toutes les femmes.




La belle Erembour (XIIe siècle) auteur inconnu

Quand viennent les longs jours de mai,
Que les Francs de France quittent la cour du roi,
Renaud se remet en route au premier rang.
Et lorsqu’il passa devant la maison d’Erembour
Il ne daigna pas relever la tête.
Eh ! Renaud, mon ami !

La belle Erembour à la lumière de sa fenêtre
Tenait sur ses genoux une étoffe de couleur.
Elle voit les Francs de France quittant la cour.
Elle voit Renaud devant, bien au premier rang.
A haute voix, elle l’appelle :
Eh ! Renaud, mon ami !

Renaud, mon ami, autrefois,
Quand vous passiez près de la tour de mon père,
Vous étiez bien déçu si je ne vous parlais pas !
- Oui, mais vous m’avez trahi, fille d’empereur,
Vous en avez aimé un autre et m’avez oublié !
Eh ! Renaud, mon ami !

Sire Renaud, je m’expliquerai là-dessus.
Je jurerai sur les reliques et devant cent jeunes filles
Et trente dames que jamais
Je n’ai aimé d’autre homme que vous.
Acceptez mon excuse et je vous donnerai un baiser.
Eh ! Renaud, mon ami !

Le comte Renaud monta les escaliers
Il avait les épaules larges et la taille fine,
Les cheveux blonds et bouclés.
En aucune terre il n’y avait si beau jeune homme.
Quand il voit Erembour, il se met à pleurer.
Eh ! Renaud, mon ami !

Le comte Renaud est monté à la tour,
Et il s’assoit sur un lit brodé de fleurs.
Près de lui s’assied la belle Erembour,
Et c’est le renouveau de leur amour.
 Eh ! Renaud, mon ami !


Traduction: Jean Bescond