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mercredi 10 avril 2013

EAF réécritures de fables sur le roseau (La Fontaine, Pascal, Anouilh, Queneau) corrigé questions sur corpus et dissertation


 

Texte A : Jean de La Fontaine, Fables, livre I, 
 Le Chêne et le roseau  (1668)

Le chêne un jour dit au roseau :
« Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête.
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrai de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs.
L'arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.


 Texte B : Jean Anouilh, Fables,
  Le Chêne et le roseau  (1962) :

Le chêne un jour dit au roseau :
« N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop,
Le pli de l'humaine nature ? »
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver, d'aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. »
Le vent se lève sur ses mots, l'orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé -
Il se tenait courbé par un reste de vent -
Qu'en dites-vous donc mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant)
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ? »
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau ;
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : « Je suis encore un chêne. »


Texte C : Blaise Pascal, Pensée 347, Pensées (1670) :


"L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale."




Texte D : Raymond Queneau, Battre la campagne,
 Le peuplier et le roseau  (1968) :

A cheval sur ses branches
le peuplier dit au roseau
au lieu de remuer les hanches
venez faire la course au trot

Le peuplier caracole
il fait des bonds de géant
c'est tout juste s'il s'envole
pas; le roseau, lui, attend

l'arbre se casse la gueule
expire chez le menuisier
et servira de cercueil
à quelque déshérité

amère amère victoire
le roseau qui n'a pas bougé
ne retirera aucune gloire 
De s'être immobilisé



Sujet :

I) Vous répondrez d'abord aux questions suivantes :
1) Analysez l'évolution de la "morale" dans les fables du corpus
2) Quelles images de l'homme propose chacun de ces textes ?

II) Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants :

Commentaire :
Faites un commentaire de la fable de La Fontaine en montrant l'opposition des points de vue et l'originalité de l'apologue

Dissertation :
La forme de l'apologue vous semble-t-elle efficace pour défendre une opinion ?

Ecriture d'invention :
Vous rédigerez un apologue en prose qui se terminera par la phrase : "Je suis encore un homme" pour illustrer votre vision de l'homme.

Corrections :

Avant de répondre aux questions


Exercice d’évaluation à étapes

Niveau : Premières L / S / ES
Cours : La question du corpus
Type : Méthodologie
Difficulté : moyenne
Temps estimé : 15 minutes

I) Définir la nature du corpus : étude du paratexte
1) A quelles époques ces fables sont-elle écrites et qu’en tirez-vous comme réflexion ?
2) Comparez et commentez les titres des fables et des œuvres d’où elles sont tirées.

II) L’analyse du corpus

Astuce : dans un corpus, cherchez toujours le texte le plus atypique

3) Quel texte s’éloigne le plus de la forme traditionnelle de la fable ? Pourquoi ?
4) Quel est le végétal protagoniste présent dans les quatre textes et pourquoi ?
5) Quelle est la fable où la morale est explicite ?

III) L’élaboration d’un plan : analysez l’évolution de la morale dans les fables du corpus

6) En introduction : quelle est la thématique commune aux quatre textes à mettre en évidence ?
7)  En première partie du développement  (mettre en relation deux textes du corpus) : « Je plie, et ne romps pas » dit le roseau de la fable de La Fontaine. « Plier, plier toujours, n’est-ce pas déjà trop, / Le pli de l’humaine nature ? » semble répondre le chêne de la fable d’Anouilh. Comment se différencie la morale des deux fables à partir de la polysémie du verbe « plier » ?
8) En deuxième partie (mettre en relation deux textes du corpus) : Comment Queneau et Pascal envisagent-ils la compétition entre les éléments de la nature et quelle morale en tirent-ils ?
9) Conclusion : Comment la morale des fables évolue-t-elle et à quels domaines font-elles appel ?

Réponses :

I) Définir la nature du corpus : étude du paratexte

1) Ces quatre fables sont écrites au XVIIe et XXe siècles. La Fontaine écrit en 1668 et Pascal en 1670, à l’époque de Louis XIV où règne la monarchie absolue. Les privilèges et l’orgueil des élites leur donnent le sentiment d’être tout puissants et invulnérables. Chacun des auteurs démontre la faiblesse des Grands et des hommes en général. Anouilh et Queneau écrivent en 1962 et 1968, à l’époque de la contestation sociale où les idées de compétition (Queneau) et de servitude (Anouilh) sont mises en doute.

2) Les titres des fables sont semblables chez La Fontaine et Anouilh, ainsi que les titres des recueils. Queneau change un des protagonistes dans sa fable « le peuplier et le roseau » et le recueil ne porte plus la mention du genre. Pascal intitule son fragment « Pensée 347 » dans son œuvre Pensées. On voit donc la volonté d’Anouilh de reprendre la fable de La Fontaine en modifiant la morale, tandis que Queneau avec ses variantes en fait une parodie. Quant à Pascal, avec le terme « pensée », il annonce une réflexion plus philosophique sans raconter d’anecdote.

II) L’analyse du corpus

3) Le texte de Pascal, écrit en prose, s’éloigne le plus de la forme de la fable. Il se contente de comparer l’homme à un roseau et fait une réflexion philosophique..
4) Le roseau est présent dans les quatre fables à cause de sa souplesse et de sa petitesse,  comparables à celles de l’homme.
5) Pascal est le seul à exprimer une morale explicite : « Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. »

III) L’élaboration d’un plan : analysez l’évolution de la morale dans les fables du corpus

6) La thématique commune à mettre en évidence dans l’introduction est l’allégorie du roseau qui représente l’homme aux prises avec les autres et la nature.
7) Le verbe « plier » se comprend différemment chez La Fontaine et Anouilh. Le premier insiste sur la flexibilité qui fait la force de l’homme simple qui sait s’adapter aux événements et se protéger. Anouilh voit dans « plier » l’esprit de servitude et de servilité et préfère la mort héroïque et touchante du grand chêne, fidèle à ses valeurs.
8) Pour Pascal et Queneau, la compétition physique entre l’homme et la nature ou entre deux hommes, figurés par le peuplier et le roseau, est inutile. Pascal appelle à développer l’intellect et Queneau montre l’absurdité tragique de se mettre en compétition entre humains.
9) La morale évolue dans le sens de la remise en cause de la solidité du roseau face au danger et à la vanité de se mesurer à l’autre. Pascal n’envisage que le rapport de l’homme à la nature en général et montre qu’il peut lui être supérieur par la force de sa pensée. Ces morales font appel aux domaines de la philosophie, de la politique, de la morale et de la société.
 

Ce travail préliminaire accompli, il est plus aisé de répondre aux questions d'ensemble suivantes :


1) Analysez l’évolution de la morale dans les fables du corpus


            Dans les quatre fables du corpus, la Fontaine, Anouilh, Pascal et Queneau assimilent tous l’homme à un roseau aux prises avec les éléments de la nature ou à une compétition. On verra comment s’exprime la morale et son évolution dans la réécriture des fables.

            Si La Fontaine préconise pour les faibles de « plier » devant les difficultés de la vie, figurées par les vents, Anouilh prend le verbe « plier » au sens de « se soumettre ». Dans le premier cas, le roseau résiste au vent et le chêne est déraciné malgré sa force et son orgueil. Dans le second cas, il en est de même, mais le chêne a le dernier mot : « Je suis encore un chêne ». La force morale est ici plus forte que la capacité à « plier l’échine », c’est-à-dire à accepter toutes les servitudes et à s’y adapter.

            Queneau, lui, déclare le match nul, si match il y a, car le roseau refuse la course que lui propose le peuplier. Au bout du compte, « le roseau attend » et le peuplier « se casse la gueule » et finit transformé en cercueil. Mais le roseau « ne retirera nulle gloire de s’être immobilisé ». A quoi bon entrer en compétition et dépasser les limites de sa condition ? Mais s’y résigner n’est pas plus glorieux !
            Quant à Pascal, inutile pour lui d’envisager pour l’homme-roseau un combat contre la nature. Sa faiblesse physique le fera mourir. Sa noblesse et sa dignité résident dans sa pensée dont l’univers est dépourvu. C’est le seul auteur qui donne une morale explicite : « Travaillons donc à bien penser ».

            Ainsi la fable de la Fontaine est réécrite par deux auteurs du XXe siècle, Anouilh et Queneau qui en font évoluer la morale. La prudence et la flexibilité du roseau louées par La Fontaine sont contestées. Anouilh privilégie la dignité de celui qui refuse de se courber tandis que Queneau renvoie les deux protagonistes à leur impuissance à changer leur destin. Pascal, définit la supériorité du genre humain par sa capacité à penser. Ces apologues sont à la fois moraux, sociaux, politiques et philosophiques. On sent chez La Fontaine le désir de faire la leçon aux puissants de la terre. Pascal envisage la force et la faiblesse de la condition de l’homme face à la puissance de la nature. Les auteurs du XXe siècle insistent sur l’absurdité du combat entre forts et faibles. 


2) Quelles images de l’homme propose chacun de ces textes ?

            Dans les quatre fables de l’étude, les auteurs se servent d’allégories végétales pour décrire le destin de l’homme. Trois d’entre eux, La Fontaine, Anouilh, Queneau, imaginent une  anecdote qui met les végétaux dans une situation de péril ou de compétition. Pascal, lui, se sert d’une métaphore filée, comparant l’homme à un faible roseau. Il en ressort des images et représentations différentes de l’homme.

            Trois auteurs du corpus envisagent des rapports de force entre puissants et faibles. C’est penser l’homme dans ses rapports sociaux. La Fontaine donne l’avantage au faible qui est souple, humble, adaptable et résiste au vent de l’adversité, tandis que le fort, rigide et orgueilleux, succombe. Anouilh dénonce la servilité du faible et préfère la dignité du fort qui ne renonce pas à ses principes jusqu’à en mourir. Dans les deux cas, on voit une sorte de revanche sociale du faible : « On sentait dans sa voix sa haine satisfaite » commente Anouilh.
           
            Queneau montre l’inutilité de se mesurer l’un à l’autre car le destin final de l’homme n’est ni la gloire ni la réussite : le peuplier « servira de cercueil à quelque déshérité ». Pascal se place à un niveau supérieur et montre que le genre humain domine les forces aveugles et inconscientes de la nature par sa capacité à penser : « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. »

            Pour tous les auteurs, il est question de savoir ce qui fait la grandeur de l’homme. Est-ce sa constitution physique ? Sa position sociale ? Sa force morale ? La puissance de sa pensée ? Mais dans tous les cas, l’homme devra s’accommoder de son destin de mortel et de sa lutte inutile contre la Nature, au sens large, car le combat physique est perdu d’avance.
 


II) Dissertation : la forme de l’apologue vous semble-t-elle efficace pour défendre une opinion ?


La fable, la parabole, le conte philosophique, le récit utopique et même le mythe : autant de formes différentes de l’apologue, qui est un récit plaisant en vers ou en prose, qui illustre une leçon ou une morale. Le lecteur a toujours plaisir à réfléchir à partir d’une histoire plutôt que de lire un austère traité de morale ou de philosophie. Cependant, on peut se demander si l’apologue est efficace pour défendre une opinion. On verra ce qui peut attirer le lecteur et la nature des enseignements qu’il trouve dans ce genre littéraire. On en montrera aussi les limites et qu’il existe d’autres genres tout aussi attractifs et efficaces.

I) Un récit plaisant

A) Par la nature variée des actants

- Le regard étranger qui dépayse et amuse en montrant nos travers sociaux sous un angle cocasse est un bon moyen d’attirer le lecteur. C’est le cas dans les contes philosophiques de Voltaire. Ainsi Babouc ou Candide sont des étrangers ou des naïfs qui découvrent les défauts de la société de leur temps et s’offusquent de la barbarie des guerres, du scandale de l’esclavage, de la saleté des villes, entre autres.
- Les animaux ou les végétaux sont choisis aussi pour incarner des types sociaux ou psychologiques. La Fontaine se sert du lion pour critiquer le roi ou du renard pour cibler les hypocrites et les flatteurs et mettre en garde contre leurs agissements. Marie de France (XIIe siècle) dans L’assemblée des lièvres  montre qu’il est bien vain d’aller trouver son bonheur ailleurs que chez soi.
- Les personnages magiques des contes de fées figurent le bien ou le mal comme la fée et la sorcière. Les objets aussi sont symboliques et peuvent illustrer une leçon, comme la statue d’or et de boue que fait fabriquer Babouc dans Le monde comme il va de Voltaire et qui représente la société avec ses qualité et ses défauts.

B) Par les péripéties qui tiennent en haleine ou amusent

- Les apologues prennent souvent la forme du récit d’apprentissage ou d’initiation. Ainsi le héros est envoyé en mission et doit vaincre des obstacles et en ressortir fortifié. Que ce soit un adulte ou un enfant, il découvre, déjoue des pièges, réfléchit et redresse des situations injustes. Le petit Poucet de Perrault, le plus faible de la fratrie va trouver le moyen de sauver ses frères et leur faire retrouver le chemin de la maison grâce à sa débrouillardise. Candide se retrouve dans des situations rocambolesques ou dangereuses et va finalement découvrir le secret du bonheur dans le travail et une petite communauté solidaire.
- La saynète croquée par un fabuliste comme Florian (XVIIIe siècle) dans Le Chat et le miroir, après un début piquant : « Sur une table de toilette, ce chat aperçut un miroir », nous donne à voir les contorsions comiques d’un chat, obstiné à découvrir les secrets d’un miroir. Il se résigne enfin à en abandonner le mystère qui le dépasse et à retourner à un domaine à sa portée, à savoir les souris !
- Les récits utopiques présentent des sociétés idéales qui sont tout le contraire des sociétés existantes, que ce soient Utopia de Thomas More ou La Cité du soleil de Campanella.
Par leur brièveté, leur fantaisie, leur charge comique, les apologues plaisent au lecteur et l’instruisent. Les registres utilisés comme le merveilleux ou l’ironie voilent la plate réalité et actionnent l’imagination et la réflexion.

II) Les enseignements des apologues

A) Développer la réflexion individuelle

- En montrant les défauts de l’homme ordinaire, les apologues invitent à les corriger. Ainsi le fort, comme le chêne, dans la fable de La Fontaine, aura intérêt à prendre exemple sur le roseau faible et à plier pour ne pas se rompre.
- Les grands de ce monde devraient bien se souvenir : « qu’on a souvent besoin d’un plus petit que soi » ainsi que le découvre sire lion dans Le Lion et le Rat de la Fontaine.
- Les leçons de sagesse abondent pour tous, comme l’aphorisme du bon Turc dans Candide : « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ».

B) Favoriser l’esprit critique collectif

- Proposer une cité idéale, c’est montrer les défauts du temps concerné et inciter à transformer la société. L’Eldorado de Candide concentre l’idéal des Lumières où les prisons et les tribunaux sont remplacés par un imposant palais des sciences et où le roi est débonnaire et accessible à ses sujets.
- Les contre-utopies des temps modernes mettent en garde contre les dérives perverses des sciences poussées à l’extrême comme Dans le meilleur des mondes de Huxley où la génétique a pris le pouvoir et la liberté des hommes.
- Parfois les fables contribuent à la concorde sociale. Ainsi la fable d’Esope où se disputent l’estomac et les pieds, reprise par La Fontaine dans Les membres et l’estomac (Fables, III, 2), montre que le corps humain comme le corps social a besoin de « travailleurs » (les membres) et de « directeurs » (l’estomac) pour pouvoir fonctionner. On raconte qu’au Ve siècle av. J.-C., cette fable arrêta une rébellion du petit peuple contre la noblesse romaine !

Critiquer et proposer, poser des questions et apporter des réponses : voilà les objectifs des apologues. Ils font appel à l’imagination, la sensibilité, l’émotion, le rire et surtout à la réflexion. Tous sont didactiques et couvrent tous les domaines : moral, politique, social, philosophique, religieux. Cependant ils ont des limites et certains autres genres littéraires peuvent être tout aussi efficaces, voire plus.

III) Les limites des apologues et les autres moyens de défendre une opinion

A) Les limites

- Certaines morales contenues dans les fables peuvent ne pas être si compréhensibles que cela, surtout pour les enfants. Rousseau l’avait montré dans L’Emile et écrivait « on achète l'agrément aux dépens de la clarté ». Il en est de même quand les auteurs usent de l’ironie et de l’allusion : certains lecteurs auront du mal à décrypter le message subtil et feront même des contresens.
- Rousseau, encore, reprochait aux fables leur morale ambiguë, pas si morale au fond. Prenant l’exemple de La Cigale et la Fourmi, il déplorait que ce récit encourage l’enfant à être « avare et dur » et en plus, en prenant plaisir « à railler dans ses refus » de charité. Il conclut en disant que « au lieu de se corriger sur la dupe, il ne se formera pas sur le fripon ». Platon, bien avant lui, déconseillait de lire Homère à cause des mauvais exemples véhiculés par les mythes.
- Enfin, quelques apologues reflètent l’idéologie de leur temps ou propagent des idées conservatrices, caricaturales ou choquantes. Candide n’échappe pas à un certain manichéisme et la caricature de la philosophie de Leibniz frise la mauvaise foi. Certaines utopies font la part belle au pouvoir d’une élite qui peut devenir tyrannique comme dans L’Autre Monde de Cyrano de Bergerac où les enfants prennent le pouvoir sur les parents et où « la virginité est un crime » !

B) Des formes littéraires concurrentes de l’apologue

- Le théâtre est une excellente tribune pour diffuser des idées. Marivaux l’avait bien compris en mettant en scène dans L’Ile des esclaves l’inversion des rapports sociaux entre maîtres et valets pour montrer, non pas qu’il fallait faire la révolution, mais que seul le hasard de la naissance ou de la vie  nous attribuait une condition et qu’il fallait être juste et raisonnable et ne pas abuser de ses avantages.
- La nouvelle et le roman peuvent avoir valeur d’apologue avec plus de finesse et de profondeur psychologique. Les Contes normands de Maupassant, La Métamorphose de Kafka ou Le baron perché de Calvino présentent tous les rapports conflictuels au sein de la famille ou du groupe social de manière imagée ou réaliste. Grégoire Samsa métamorphosé en cafard  chez Kafka n’existe plus pour ses proches et devient objet de répulsion et de rejet alors que le baron de Calvino fuit sa famille pour s’établir définitivement dans les arbres pour conquérir sa liberté.
- Enfin l’essai ou la lettre ouverte comme l’article J’accuse de Zola prennent clairement positon et usent d’une argumentation directe et claire qui ne laisse aucun doute sur les positions de l’auteur. C’est le cas du Traité de la tolérance de Voltaire ou du Contrat social de Rousseau.

L’apologue par sa diversité et sa souplesse se prête bien à la diffusion des idées, opinions et réflexions de toutes natures. Le récit est court, captivant et va à l’essentiel. On use de persuasion pour ralier le lecteur à une opinion. On s’intéresse aussi bien à la morale privée qu’à l’éthique sociale, politique ou religieuse. On critique une conduite ou une société et on propose des remèdes. Mais la distanciation, provoquée par le masque de la fiction et des registres fantaisistes, nuit à l’identification, parfois brouille même le message qui est mal compris par le lecteur. Une représentation théâtrale lèvera mieux les doutes et touchera une assemblée plus nombreuse. L’argumentation directe de l’essai ou l’approfondissement psychologique du roman et de la nouvelle longue seront plus clairs mais demanderont plus d’efforts au lecteur. Socrate, lui, préconisait le dialogue où les questions étaient plus importantes que les réponses. L’art de la conversation qui était, avant, l’apanage des Français semble pourtant prendre une forme moderne et se généraliser dans les forums sur Internet. Comme quoi penser, exprimer des idées et les faire partager est toujours d’actualité.


 Le Penseur de Rodin (jardin du musée Rodin, Paris)

Corrigé de Céline Roumégoux

Pour le commentaire sur la fable de la Fontaine :

Voir ICI  ou ICI ou ICI


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